La France aux arrêts

par Jean-Pierre Delange

Il n’y a pas de problème dont l’absence de solution ne vienne à bout – Henri Queuille

L’inquiétude

Avant l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, un certain nombre d’enjeux et de problèmes politiques étaient en suspens et pesaient sur l’avenir de l’élection présidentielle. Tout d’abord, le premier sujet d’inquiétude majeur des Français était le chômage, un chômage de masse (à hauteur de 10%), un chômage jamais réglé depuis plusieurs décennies, à la charge d’exécutifs successifs impuissants qui, les uns aux autres faisaient régulièrement le constat pour le déplorer, quand des mesures catégorielles insuffisantes et démagogiques (les fameuses mesures destinées à « l’emploi des jeunes ») n’étaient pas mises en exergue et hypnotisaient les médias.

On peut ajouter à ce constat général que la grande distribution et ses « hypermarchés » règnent sans partage dans presque tous les domaines du commerce, de l’alimentaire aux articles de sport, en passant par l’habillement. L’emploi généré dans la grande distribution est à l’image des négociations que conduisent les centrales d’achat à l’égard de leurs fournisseurs : il s’articule sur la base d’un chantage permanent. Quant à l’agriculture vivrière, elle a vu ses effectifs fondre dans les campagnes françaises, du fait du développement de la mécanisation et d’une transformation technologique rapide des méthodes culturales et leur rationalisation. Les liens de l’agriculture avec les entreprises du secteur agro-alimentaire (semenciers et fournisseurs d’engrais) et aux centrales d’achat qui suivent les mouvements des marchés financiers, de même que sa totale dépendance aux instruments de la politique agricole européenne, lui interdisent aujourd’hui d’être autre chose qu’une variable sur les marchés spéculatifs. La financiarisation de l’agriculture conduit aux mêmes résultats que la financiarisation des secteurs manufacturiers : standardisation des produits, amélioration de la productivité, baisse des revenus et du nombre d’emplois, désertification des villages, bourgs et petites villes. La grande distribution a fait ses choix : elle achète de l’ail au Chili (et pour les autres marchés : des chaussures aux Vietnamiens, des ordinateurs à Taïwan, pendant que le secteur européen de la téléphonie mobile a été laissé aux Américains, aux Coréens et aux Chinois). Preuve s’il en est que les agriculteurs et les maraîchers français s’occupent aujourd’hui d’autre chose que de piloter le marché de l’alimentation.

Cette situation était la conséquence d’une politique avouée de désindustrialisation des régions françaises, à commencer par le Grand Est et le Nord de la France, au prétexte que l’avenir des économies européennes était aux services à la personne et, plus généralement, aux emplois du secteur tertiaire. L’argument généralement présenté comme une nécessité impérieuse était inconséquent : en effet si le « C’est moins cher ailleurs ! » présentait une certaine validité, le personnel politique ne cherchait même pas à masquer le désir d’éluder les causes du surcoût du travail en France et n’osait même pas aborder le début d’un commencement d’analyse de ce que pourrait être une réelle revitalisation industrielle, pour ne rien dire d’une tentative pour cerner « les enjeux industriels de demain« . Les quelques rares fleurons industriels du pays qui ont subsisté, si on laisse de côté les grandes entreprises liées à des secteurs stratégiques comme l’énergie et la défense, sont la chimie, les aciers spéciaux et l’automobile.

Quant aux industries françaises, malgré les appels intempestifs à la « relocalisation », elles occupent des niches industrielles spécifiques et spécialisées comme les aciers spéciaux et les textiles high-tech sur le marché intérieur. Un exemple de paradoxe « à la française » : la France est le premier producteur mondial de lin. Pourtant le traitement du lin et sa transformation (filature, tissage …) se trouvent en Italie et en Chine. Il apparaît ainsi comme une impérieuse nécessité, nécessité qui étrangement ne frappe ni l’Allemagne et ses usines familiales bavaroises, ni l’Italie lombarde, de retrouver la maîtrise de nos activités agricoles et industrielles.

C’est sur fond de ces constats que les fins observateurs politiques, qui jouent des coudes sur les plateaux de télévisions, ont feint de ne pas voir dans l’arrivée d’Emmanuel Macron, était pourtant lumineusement mis en scène par les propos mêmes du candidat. En effet, qui pouvait bien succomber à la rhétorique simplette et par conséquent aveuglante du « ni de droite, ni de gauche, et à droite et à gauche« , rhétorique récitée ad nauseam comme un mantra et dont la seule fin était d’économiser une réflexion, dans le droit fil de la méthode du Docteur Coué ? Les mêmes observateurs qui voyaient dans la formule la marque du génie politique auraient pu être plus perspicaces, non pour se targuer d’être plus intelligents, mais afin d’éclairer l’électeur sur une habile duperie (et les dangers potentiels de la confusion des genres), habillée à nouveaux frais avec les oripeaux d’un centrisme qui n’a pas tardé à tourner au ridiculise sous la titulature de François Bayrou.

La crise politique

En effet, la fin d’un processus dialectique commencé depuis plusieurs décennies avec l’arrivée au pouvoir d’une forme de sociale-démocratie française héritée de la IIIe République en la personne de François Mitterrand — opposant constant du Général de Gaulle, homme au passé et à la personnalité controuvés — trouvait en Emmanuel Macron sa vérité, pour ne pas dire sa quintessence. Beaucoup se sont réjouis de voir arriver en France la victoire d’une politique plus généreuse et plus humaniste et, selon le verbe même du candidat, plus disruptive. Nous n’allons pas faire les comptes ici, ni du mitterrandisme, ni de ce qui a suivi et qui a été, à peu de choses près, une succession d’avatars de la politique des renoncements (« On a tout essayé ! » affirmait Mitterrand à propos du chômage). Le « chiraquisme », cette appellation commode qui a fait les délices aussi bien d’une politique de redistribution à la manière des socialistes, que des opposants à la politique du Roi fainéant, n’a jamais été autre chose que l’autre nom d’un radical-socialisme à la papa. D’un radical-socialisme peu imaginatif et, somme toute, des plus classiques. Ce radical-socialisme, dans la droite ligne de ce qu’il avait pu être jadis, s’est constitué autour d’une rhétorique politique abondante dont l’unique justification était le statu-quo d’une disparition du politique. Cette absence compensée en parole (exemple : « la fracture sociale » de Chirac) est devenu ipso facto un vrai cas d’école, où l’on perçoit que le recyclage rhétorique et idéologique permet aux cadres supérieurs de l’État d’entrer en politique comme des « experts professionnels de la politique », alors qu’ils ne sont tout au plus que des gestionnaires, au sens de la gestion électoraliste des votes. Comme le redoutait Bertrand de Jouvenel dès les années 50, la redistribution sociale des fruits du travail et de l’impôt, fer de lance des politiques « et de droite et de gauche » depuis 1981, a incarné la meilleure manière d’orienter les votes, à tel point que l’électorat lui-même, pour une part lassé des promesses qui n’engagent que ceux à qui ont les fait, s’est détourné des urnes, ou bien est venu grossir les cohortes de mécontents votants aux extrêmes.

Les publicains se sont rangés derrière Crassus, homme puissant par sa richesse, mais au final, ne sont restés en lice que César et Pompée ! Mitterrand avait tué le Parti Communiste en contraignant ses ministres communistes à une politique de simple gestion sociale-démocrate, laissant tomber dans les poubelles de l’Histoire tout l’imaginaire révolutionnaire. La coloration prétendument « de gauche », qui rimait avec de la dépense publique démagogique, signifiait de fait l’accélération des politiques publiques de redistribution (notons qu’un esprit aussi vif que celui de Michel Rocard est resté dans l’Histoire comme celui dont le nom est attaché à la création particulièrement oiseuse d’un impôt supplémentaire, la CSG). Avec Emmanuel Macron et sa cohorte de briscards blanchis sous le harnais comme Gérard Collomb et Le Drian, ou de jeunes opportunistes issus de « l’école DSK » et vrais apparatchiks du Parti Socialiste en déshérence, la fleur qui allait donner le fruit amer de la désillusion pouvait enfin éclore. Cette fleur n’allait peut-être pas donner le fruit le plus gros, ni le fruit le plus comestible, mais un fruit tout de même : la liquidation de la vie politique française au bénéfice de la « gestion des affaires ». Business as usual ! Et comme la droite et la gauche se sont mises en ordre de bataille des décennies durant pour feindre de proposer des politiques prétendument différentes, tout en mettant en œuvre les mêmes politiques de gestion des déficits sociaux, l’union des contraires dans l’identité des différences s’est incarnée dans la candidature de celui qui pouvait mystifier les électeurs les plus motivés, et cela en toute innocence ! « Ni de droite, ni de gauche et de droite et de gauche » a pu clamer l’enfant prodigue Emmanuel Macron, sous le regard attendri de ceux qui n’attendent plus rien de la politique, mais qui ont été tout de même épatés par la fraîcheur du culot de ce jeune homme sorti de nulle part ! La quintessence du radical-socialisme a pu fleurir enfin et sous son vrai jour, parce que la Droite et la Gauche étaient en fait rassemblées sous la même bannière, montrant enfin qu’il s’agissait de la même chose. Macron pouvait enfin déclamer « l’Europe souveraine » au son de la musique de Beethoven, pérorer durant des heures et promettre qu’avec lui rien ne saurait plus jamais être pareil. Le surgissement du candidat Emmanuel Macron au milieu de l’atonie morale et politique d’une France aux prises avec les attentats islamistes dans Paris et l’apathie de la présidence de François Hollande, a paru pour beaucoup comme le signal d’un « nouveau monde », slogan proféré par E. Macron lui-même. Le soulagement d’une grande partie des électeurs, qui voyaient se tourner la page d’une présidence sans courage, sans objectifs et sans convictions politiques, aurait du être tempéré par les observateurs experts qui règnent sans partage dans les médias : le personnel politique embarqué avec E. Macron n’était jamais composé que par certains caciques du PS (Collomb, Le Drian, Castaner, Ferrand, etc.) qui espéraient se défaire de Benoît Hamon, auxquels on adjoignait des « équipes » de jeunes sortis de HEC et de Sciences Po, et des cuisines de DSK qu’on a mis sous les projecteurs pour brouiller les cartes. L’illusion était presque parfaite, si ce n’est que présenter une politique comme disruptive avec quelques « éléphants » du PS et des transfuges « proches » de Juppé, ne pouvait qu’ajouter de la confusion à la crise. Logiquement, les personnels politiques qui, chacun dans son camp, avaient éprouvé les limites de l’absence du politique dans l’accomplissement idéologique de leur carrière, ne pouvaient pas, une fois réunis sous la houlette d’un slogan racoleur proche d’un Ouigo électoraliste incarné par « La République En Marche » (LAREM), faire ensemble différemment ce qu’ils avaient excellemment accompli dans leur camp respectif, c’est-à-dire porter François Hollande au pouvoir d’un côté, ou s’adonner à de picrocholines luttes de pouvoir aux côtés d’Alain Juppé.

L’opportunisme et de gauche et de droite

On s’en est rendu compte avec les défections autour de François Fillon (opportunément neutralisé en pleine campagne électorale, comme on l’a vu plus haut), car des idéologues de premier ordre sont promptement passés avec armes et bagages dans le camp du vainqueur, sans que personne ne trouve à y redire. La presse, qui comme les enfants est parfois capable de fraîcheur et de naïveté, a nommé ces personnalités de haute volée les « Macron-compatibles ». Les Thierry Solère et autres Franck Riester, « proches d’Alain Juppé » (l’homme qui paya le prix de sa fidélité à Chirac), ne se sont pas fait prier pour abandonner leur « soutien sans arrières pensées » (sic) à François Fillon », en vue de « rallier pour être utiles » (sic) les équipes autour d’Emmanuel Macron. Alain Juppé aurait pu se rapprocher lui-même de Macron « afin d’être utile », cela n’aurait choqué personne. Et d’ailleurs, sa nomination ultérieure en mars 2019 au Conseil Constitutionnel sur proposition de Richard Ferrand, député socialiste utile auprès d’Emmanuel Macron, « le candidat de la rupture », a donné l’exemple par excellence, de la solidité des valeurs tant vantées par l’ancien Premier Ministre. Personne n’aurait été choqué de voir Alain Juppé ministre de Macron, comme personne n’aurait été offensé de voir Frank Riester ministre de la culture de François Hollande. Frank Riester aurait d’ailleurs fait un admirable ministre du commerce, de l’artisanat et de l’industrie dans un gouvernement socialiste conduit par Manuel Valls, le grand homme d’État que l’Espagne convoite à la France ! Franck Riester et Thierry Solère auraient pu devenir ministres ou secrétaires d’État dans n’importe quel gouvernement, y compris sous la IVe République, puisque leurs comportements ont amplement montré que leurs actions n’étaient pas dictées par des convictions politiques : se présenter avec la formule de quelqu’un « qui peut être utile » est immédiatement perçu comme l’attitude de quelqu’un qui se vend au plus offrant. De fait, en France, l’électeur a pris l’habitude de longue date d’être au spectacle de ces ballets toujours un peu feints, où les adversaires d’hier se font les complices du renoncement, toujours bon à promouvoir et à expliquer, pourvu que dure le manège des obligés, de la vassalité et des renvois d’ascenseur. L’expression « être aux affaires » n’a jamais sonné aussi juste que depuis la victoire de François Mitterrand et de ses successeurs. Aujourd’hui le ballet bien réglé des technocrates qui entrent en politique par le jeu des chaises musicales souligne l’absence criante de vie politique en France, il faut le répéter. On a le droit de se plaindre de la judiciarisation de la vie politique (et l’épisode François Fillon est en effet le type de mésaventure qui montre bien une justice très opportunément zélée …), mais force est de constater que les mœurs politiques des uns et des autres, depuis l’affaire Urba du temps du socialisme sans partage, en passant par les accommodements de Cahuzac et de bien d’autres encore, révèlent en permanence un monde dans lequel la morale publique passe après tout le reste. Cette cohorte hétéroclite de jeunes apparatchiks et de vieux barons de province avance en rangs serrés en chantant les louanges des nouvelles idoles du moment : « l’ouverture à la différence de l’autre », « les gestes éco-responsables » et aujourd’hui du temps de l’épidémie de Covid-19, le civisme d’une prétendue « solidarité solitaire ». Ces comportements médiocres soutenus par une novlangue fausse et ridicule traduisent le vide idéologique considérable qui nourrit la course aux places. Le Parti Socialiste, qui fut naguère un grand producteur du spectacle permanent qui se donnait à toute heure du jour, avec « courants » et « trans-courants », petites trahisons des uns et grands serments des autres (la main sur le cœur : « Je déteste la finance ! ») conduisant un jour les étudiants à la grève, devenant le lendemain homme-lige d’un prétendant quelconque à un poste ministériel, s’est caricaturé lui-même en donnant la preuve par l’exemple de ce qu’était un professionnel de la politique : quelqu’un qui met 8 ans à décrocher une licence d’Histoire et qui devient premier ministre ! Une personnalité politique comme Pierre Moscovici, parmi d’autres (qui aujourd’hui sont supplantés par la génération des Benjamin Griveaux), a démontré que ses talents politiques se mesuraient avec une règle de Lesbos. On serait bien en peine d’attribuer à Pierre Moscovici une action politique continue, profonde, marquante et bénéfique à la nation française. Son envergure est inversement proportionnée à son plan de carrière. L’habituelle comédie du pouvoir, où il s’agit de faire un métier de la politique et de présenter les idées politiques sous les habits de finances publiques orientées vers les « plus démunis et ceux qui souffrent », s’est développée sans vergogne durant des décennies. Mais le prix à payer de ce spectacle permanent, de ce manque constant de sérieux et de l’affaiblissement du jeu politique, est le retour du refoulé. Ce qui avait été nié durant des décennies, à savoir une France puissante par son économie, la formation scolaire et universitaire de sa population, sa créativité scientifique et son rôle parmi les Nations, revient aujourd’hui sous la forme du diagnostic réaliste, d’une République impuissante à se gouverner elle-même, de gouvernements successifs qui s’abandonnent aux minorités, d’une Nation fracturée par ceux qui dénoncent les « propos clivants », d’une Gauche qui a confondu la vie politique avec les combines et d’une Droite affairiste.

Laissons maintenant de côté les tristes banalités de la course aux places et la feinte naïveté de l’observateur du microcosme pour revenir à la présente situation. Macron est parvenu à la magistrature suprême et avec lui, « les bonnes volontés » prêtes à faire oublier ce que d’aucuns persistaient à considérer comme le degré zéro de la politique : l’épisode François Hollande, le seul président de la Ve République en bonne santé à ne pas pouvoir présenter sa candidature à sa propre succession.

On vient de le dire, les enjeux des élections présidentielles de 2017 étaient peu nombreux mais importants et particulièrement intimidants : la santé économique du pays et le taux de chômage, le terrorisme islamique et la question de l’islam en France, liés à une immigration peu encadrée et à la crise culturelle et politique des pays d’origine, une vie politique nationale extraordinairement passive, une gigantomachie sur fond de décor de carton pâte nourrissant les polémiques sur les niveaux de prélèvements fiscaux et sociaux … Tout concourait à ulcérer une Nation régulièrement trompée et désorientée.

Crise de la représentativité

La crise dite des Gilets Jaunes de l’automne 2018 au printemps 2019 était prévisible, mais mal appréhendée par les élites parisiennes, de plusieurs points de vue. Premièrement, cette crise n’a pas été seulement, comme certains journalistes prompts à la caricature l’affirmaient, le fait d’une classe moyenne arc-boutée sur des avantages catégoriels. Elle a été d’abord alimentée par des Français vivants dans les provinces et dont le budget en carburant constituait une part importante des dépenses mensuelles. Vu de Paris et du pass Navigo à 75 euros par mois (dont une partie est prise en charge par l’employeur), un plein de gazole par semaine pour se rendre au travail apparaît sinon anecdotique, du moins une variable sans importance. Or, les emplois industriels et de services ne sont pas rémunérés dans les provinces à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre. La plupart du temps, hors salaires de cadres et de fonctionnaires, les emplois du secteur privé sont rémunérés entre un SMIC et un SMIC et demi. Les artisans les moins assis sur une entreprise solide peinent à recruter des employés formés et stables, tout en tenant ensemble le carnet de commande, les chantiers, les prêts bancaires et les obligations devant l’URSSAF. La complexité administrative, jointe au caractère littéralement opaque des chaînes de responsabilités au sein de l’administration française interdit toute fluidité dans les échanges entre l’État et les entrepreneurs. L’uniformisation des décisions (« Paris c’est la France ! ») constitue une partie de l’explication de la désindustrialisation des provinces, y compris des provinces où le reflux de l’activité agricole en pleine mutation industrielle et financière n’a jamais été remplacé par des entreprises familiales du secteur industriel. Une exception cependant pour quelques secteurs, dont celui du luxe (principalement les métiers du cuirs, de la bijouterie et du parfum) et de quelques sous-traitants de l’industrie automobile et aéronautique.

Dans les régions agricoles où le solde démographique est toujours négatif, année après année, le chômage important et la survie des emplois toujours problématique, les hausses des taxes ont été vécues comme une menace sans nuance, mais surtout vécue comme le signe d’une absence de préoccupation générale des représentants politique à une situation de crise déjà ancienne. On peut prendre pour exemple l’absence de défense des entreprises françaises de transport routier face à la concurrence déloyale des partenaires européens (on se reportera à la crise des « bonnets rouges »). En réalité, les problèmes structurels anciens n’ont jamais été traités. Répondre à une suite de crises anciennes par des oukases justifiés par des considérations écologiques (on augmente les taxes des carburants pour inciter les consommateurs à passer à des automobiles et des systèmes de chauffage domestique respectueux de l’environnement) relevait de l’absence de sens politique et d’une vraie mesure de coercition dont l’administration garde le secret. On y revient toujours : l’élite politique française ignore ce qu’est la conduite politique des affaires communes. Elle pense d’abord en termes de gestion des flux. Cela s’est vérifié dans la crise des Gilets Jaunes. Mais on le voit aussi pour la politique éducative des lycées : on gère des flux, des nombres de candidats reçus au baccalauréat. Peu importe comment ! Peu importe ce qui se passe en effet dans les classes ! En revanche, on veut du chiffre et du résultat ! C’est le Gosplan !

Le spectacle de semi-guerre civile qui a été donné sur les Champs-Élysées dès les premières manifestations appelées par le collectif des Gilets Jaunes à l’hiver 2018-2019 a montré l’incapacité du pouvoir d’apporter une réponse politique à une crise ancienne, qui se manifestait par une jacquerie. Si on laisse de côté les tentations démagogiques et les arrières-pensées qui les soutiennent concernant les « fumeurs de clopes que sont ceux qui roulent au diesel » (selon le propos amène du si distingué Castaner), le moins qui puisse être dit est que le pouvoir, au premier rang duquel le Président de la République, a joué la montre pour calmer des protagonistes qui se sont au final désorganisés et fatigués. Le Président a beaucoup parlé durant toute cette crise. Essentiellement pour justifier plus d’argent ici, moins de taxes là et pour s’opposer à l’idée généralement répandue qu’il se trouvait assez éloigné des réalités du pays. Il a cherché à convaincre de sa bonne volonté et a pris beaucoup de temps pour faire comprendre ses intentions. Il s’est fait le héraut d’une attitude constante ces dernières années : justifier une parole sans l’articuler à une action. C’était, une fois encore, expliquer une nécessité d’aujourd’hui par le renoncement de demain.

Gilets Jaunes, Réforme des retraites, épidémie : la France aux arrêts

Le Président Macron et son chef de gouvernement, Édouard Philippe, ont eu a affronter trois difficultés successives qu’ils ont traitées de la même manière : confusion, inaction, paroles creuses. L’action politique doit être coordonnée afin qu’elle puisse laisser se développer une action. Le Président s’est contenté d’opposer les populistes aux progressistes, tout en agitant les oripeaux d’une Europe fantasmée, sur laquelle il a réussi à faire la démonstration qu’il n’avait aucune prise. L’Europe est un club de chefs de gouvernements, adossés à une commission bureaucratique et tatillonne, où sont recyclés de grandes figures des politiques locales, à l’exemple de Manuel Barroso, de Jean-Claude Juncker, de Pierre Moscovici, et autres éminentes personnalités venues à Bruxelles pour y jouir d’une paisible et munificente sinécure.

La crise des Gilets Jaunes et venue mourir sur l’inconsistante réforme des retraites, elle-même enterrée par une épidémie de COVID-19, qui a mis sous la lumière crue des projecteurs l’incompétence d’une administration de l’État français, en pleine incapacité de mettre en ordre de marche des milliers de fonctionnaires appelés brutalement et sans appel, comme les autres citoyens, à se cacher.

Le Président de la République a pu faire illusion par sa parole particulièrement abondante : on l’aurait préféré plus sobre et mieux averti du sens des mots. D’une part parce que son apparent désir d’être l’arbitre des oppositions entre les courants idéologiques auxquels adhèrent les Français est vite apparu comme une velléité : il a cédé aux chantages de minorités agissantes, qui faisaient de revendications sociétales une urgence à traiter bien plus rapidement que les problèmes rappelés ci-dessus. Quelle urgence y-a-t-il à répondre à la revendication de femmes seules qui veulent devenir mères sans père ? Quelle urgence y-a-t-il à répondre positivement aux couples de même sexe qui bravent la loi française et exigent la reconnaissance de leurs enfants nés à l’étranger de mères-porteuses ? Tout problème dont on décide qu’il ne peut faire l’objet d’un débat national. Le discrédit de la représentation politique est ainsi nourri du refus de prendre en compte l’opinion d’une majorité, elle-même politiquement disqualifiée au profit de la voix des minorités. Pourquoi donc s’étonner ensuite du peu d’entrain des citoyens français pour la chose politique, qu’il s’agisse d’entrer dans le débat des campagnes électorales et de se mobiliser vers les bureaux de vote ?

Perte de sang-froid

L’arrivée de l’épidémie de Covid-19 a porté un coup supplémentaire à la crédibilité des acteurs politiques du moment. Tout d’abord, le manque de sang froid est ce qui frappe en premier lieu l’observateur. La France connaît régulièrement des épidémies. Dans la période récente, différents virus (tel H3N2 en 1969-1970, la grippe de Hong Kong, aujourd’hui oubliée) ont frappé un nombre considérable de Français. La publication officielle des chiffres dira si en 2019-2020 l’épisode du Covid-19 aura tué directement plus de monde que l’épisode grippal de 2017. Toujours est-il que l’on a vu le gouvernement décider brutalement de l’arrêt de l’activité du pays, en tenant des discours contradictoires, de l’inutilité du port du masque, à l’inanité des tests, en passant par la répétition d’un aveu alarmant : il n’y a pas assez de lits de réanimations. La gouvernance par la peur était ainsi mise en route, à ceci près que le gouvernement lui-même, ses conseillers et les experts ont donné libre cours à leurs désirs de faire peur et de se faire peur. Pour faire bonne mesure, la télévision a été choisie pour conduire chaque soir le Professeur Jérôme Salomon à donner les chiffres funèbres et précis du nombre de personnes hospitalisées, celles qui étaient en réanimation et celles qui étaient décédées. Le Président a répété par 3 fois « Nous sommes en guerre ! ». Mais curieuse guerre qui intime l’ordre de se cacher ! Ceux qui écoutaient et avaient encore en eux quelque capacité de réflexion se sont demandé s’il n’y avait pas d’autres choix que de mettre la France aux arrêts, de dépêcher les polices pour bien vérifier le respect des ordres et éventuellement punir les contrevenants. Les Français tétanisés par la peur se sont montrés obéissants. La radio terrorisait régulièrement (et continue de terroriser) les personnes âgées et vivant seules, n’osant ni sortir de leur domicile pour se rendre chez leur médecin, ni sortir pour prendre un peu l’air.

On a moqué au début le port du masque qui devient une nécessité sociale aujourd’hui et on a argué de la pénurie pour justifier l’inorganisation : les personnes à risque, principalement dans les EHPAD, ne pouvaient-elles pas faire l’objet de tests que l’on se serait procurés en Corée, en Allemagne, ou en tout autre endroit où la peur n’interdisait pas l’action ? La mise en place locale du suivi de l’épidémie, ne serait-ce qu’à titre d’observation du phénomène ne pouvait pas être d’une certaine utilité pour aider à l’action ? Emmanuel Macron, toujours soucieux de pédagogie a souhaité expliquer pourquoi il confiait la décision de l’action qui lui incombait au professeur Delfraissy et à son comité scientifique. Lorsque l’on gouverne, il apparaît aujourd’hui que l’expert scientifique doit porter la décision. Or, nous l’avons indiqué précédemment, il semblerait que l’ingénieur qui fabrique une arme atomique n’est pas le mieux placé pour dire si oui et quand il faut utiliser cette arme. Quelle fut donc la doctrine stratégique du gouvernement lors de cette épidémie qui, jusqu’à nouvel ordre ne semble pas avoir été la cause directe de plus de 30 000 décès en France (en 2021) ? Les mesures les plus ridicules ont été prises et sans sourciller : rester confiné, présenter un « Ausweis » lors des sorties, c’était le meilleur moyen de lutter contre l’épidémie. Ne pas agir, respecter les gestes barrières… Certes, le tableau clinique de l’infection due au Covid-19, tableau clinique des 20% des personnes qui présentaient des symptômes a pu apparaître comme notoirement invalidant et létal. Nous savons aujourd’hui que même les personnes asymptomatiques pouvaient aussi montrer des troubles pulmonaires. Mais sans entrer dans le détail de cette maladie et de ses conséquences, l’absence de prise en charge intelligente de l’épidémie a montré que le principe de précaution consistait à ouvrir un parapluie, au lieu d’entrer dans l’action et de mobiliser les troupes. L’intervention d’un ancien directeur de la santé publique est allée dans ce sens : « s’il y a une guerre, il doit y avoir un général qui assurera la mobilisation et la répartition des moyens et des troupes sur le terrain ». En guise de mobilisation à l’appel du Général Macron qui déclarait la guerre, la principale action demandée à la Nation a été celle de la passivité. Les slogans les plus imbéciles ont pu être trouvés à cette occasion, qui a vu surgir les imaginaires les plus fertiles, comme celui de Raphaël Enthoven dont l’intelligence purement rhétorique nous a valu cette aimable trouvaille : « être solitaire c’est se montrer solidaire ». Sans doute qu’il aurait fallu exiger des personnels soignants qu’ils mettent en pratique ce slogan pernicieux ? Depuis quand faut-il exiger des gens qu’ils ne tombent pas malades ? Depuis quand un virus de ce type se soumet-il volontiers à l’enfermement qui, ipso facto (et aux détriment des autres exigences de la vie collective) devient l’alpha et l’oméga de la vie d’un grand pays ?

Par conséquent, le Président et le gouvernement ont fait montre en l’espèce d’une grande légèreté et d’une grande imprudence en décrétant comme une chose naturelle et efficace le fait de rester chez soi, pour chacun, pour tous et absolument partout. D’une part ils ont préjugé du caractère nocif de l’épidémie, sur la foi d’extrapolations statistiques sans se tourner vers l’expérience du passé (sans doute est-ce là d’ailleurs la marque du progressiste : il veut être amnésique !); il ont éteint toute velléité d’action au seul motif qu’il fallait préserver les capacités de lits de réanimation, alors qu’à l’évidence il fallait très certainement faire baisser le plus rapidement possible la charge virale chez ceux qui étaient atteints. En dernier lieu, la polémique incessante contre le professeur Raoult , qui ne faisait rien d’autre que d’en appeler au traitement des malades a eu ceci d’intéressant qu’elle a mis en évidence un certain nombre de questions d’ordre scientifique, en parallèle avec la question toujours ouverte de la mise en œuvre d’une réponse adaptée des services de l’État en cas de crise sanitaire majeure. On l’a vu hier, on le voit encore aujourd’hui : il n’y a pas eu de réponse ! L’État par ses différentes administrations s’est mis aux abonnés absents.

Blanquer, mens insana in corpore sano

Le cas de l’école, du collège au lycée et à l’Université est un cas … d’école ! Après avoir imprudemment décrété que la santé était chose sacrée qui ne pouvait souffrir d’aucune discussion, le Ministre Blanquer s’est montré lui aussi fort imprudent : « Bien entendu notre souci est en premier lieu celui des précautions sanitaires ». Il a inventé une nouvelle classe d’élèves, les « décrocheurs ». Chacun imagine des cohortes d’élèves fuyant les apprentissages dès l’âge de 5 ans. En réalité, selon les établissements, les zones géographiques urbaines, péri-urbaines et rurales, le décrochage scolaire est un phénomène connu et ancien, mouvant, qui suit l’âge et les conditions psycho-sociales. Mais en toute passivité, il fallait que le ministre se montrât préoccupé de la situation sanitaire et à défaut d’agir, il lui fallait montrer qu’il prévoyait la mise en place d’un retour à la normale qu’il n’a pu entièrement piloter, pour des raisons évidentes : il n’est pas facile de rassurer ceux vis-à-vis de qui on a employé tous les moyens de la passion qu’est la peur. Et la peur de mourir évidemment est une grande passion. Et comme l’école n’est pas le lieu de la séparation, mais au contraire un des rares endroits (la salle de classe) où la promiscuité est nécessaire, il n’est pas possible de mettre en place la distanciation sociale. Étrangement les syndicats d’enseignants se sont engouffrés dans la brèche ouverte par les parents qui ne souhaitaient pas voir leurs enfants revenir à la maison avec le COVID-19. Les experts avaient beau dire que les enfants n’étaient pas porteurs de virus et que les seuls cas de transmission connus étaient des parents vers leurs enfants, rien n’y a fait. Et lorsque le Ministre Blanquer a annoncé le retour en classe le 11 mai, chacun avait compris ce jour-là qu’il s’agissait d’un wishful thinking ! Le ministre de l’Éducation s’est montré dans la période plutôt généreux en termes de prévisions déçues. La responsabilité en incombe certainement au Président de la République et au Premier ministre, otages d’un prétendu « conseil scientifique » derrière lequel le chef de gouvernement et le président ont préféré masquer leur absence d’imagination politique. En effet, revendiquer que dans l’histoire de France c’était « la première fois que l’on prenait une décision de confinement total de la population » en dit suffisamment long sur l’inconséquence de cette décision. Remarquons en même temps la morgue avec laquelle cette décision de mettre la France aux arrêts est revendiquée sans aucun scrupule.

Mais les décisions les plus imprudentes de Jean-Michel Blanquer, ou en tout cas les moins avisées, furent de mêler des décisions contradictoires à des propositions qui se nourrissaient de reculades et de fausses promesses. En même temps que son discours se voulait responsable, il en appelait à la tenue d’un enseignement virtuel purement improvisé et pour les bacheliers, à solder très tôt les comptes, puisque les élèves avaient suivi en tout et pour tout 13 semaines de cours (dont 6 semaines de vacances : Toussaint 2019, vacances de Noël et vacances d’Hiver). Annoncer très rapidement après la décision du confinement général de la population que les élèves des classes de lycée se verraient attribuer leur diplôme sur la base des moyennes des notes des deux premiers trimestres, c’était décider à grand son de buccin la fin du travail scolaire, la fin d’un engagement motivé de la part des élèves et la neutralisation du travail à distance. Il en aurait été autrement si les épreuves du baccalauréat avaient pu être proposées pour le mois de septembre. Ce que les enseignants sont capables de faire en juin (surveiller les épreuves et les corriger) , ils peuvent le faire en septembre. Pour des raisons qui n’ont jamais été discutées, l’annonce d’un baccalauréat obtenu en contrôle continu (et seulement sur la base de 13 semaines de cours, avec les vacances de la Toussaint, de Noël et de d’Hiver…) a fait l’effet d’une déclaration de démobilisation générale. Le Ministre a eu beau féliciter l’engagement des enseignants dans les classes virtuelles, il s’en faut que les élèves subadultes aient pu se montrer aussi motivés que le discours officiel le disait. C’est méconnaître la psychologie des adolescents que de croire qu’ils vont tous suivre des cours à distance s’il n’y sont pas assignés par quelqu’un. Par ailleurs, chacun des élèves ne possède ni un ordinateur portable, ni une connexion internet de qualité partout dans les territoires qui permette à tous de suivre un cours dans une matière donnée au moins deux fois par semaine. Aussi on peut dire que les classes virtuelles se sont tenues avec 20 à 70% des élèves selon les moments, les disciplines et les établissements. De fait, lorsque les élèves ont appris comme les enseignants que le travail scolaire fait à la maison lors du confinement ne serait pas comptabilisé dans les moyennes annuelles (pour des raisons qui se comprennent aisément : le travail scolaire à la maison des adolescents est souvent adossé à du copier/coller sur Internet, lorsque cela est possible, ou à des procédures de fraude collective), le signal de la débandade a retenti. La mobilisation fragile des élèves est devenue instantanément ce qu’elle portait en elle depuis le début : un immense farniente.

Le règne de l’impuissance

L’épisode de l’épidémie du Covid-19 touche la France d’une manière particulièrement destructrice : destruction volontaire de l’économie par un gouvernement pusillanime, destruction de la confiance envers les experts et notamment les scientifiques. Les Français ont applaudi les médecins, mais non pas les infectiologues qui ont imaginé à voix haute des possibilités effarantes (mortalité exceptionnelle du phénomène, durée de l’épidémie sur plusieurs trimestres). Le pire fut de déclarer sans sourciller la mise à l’arrêt total du pays, sur le ton grave des généraux qui annoncent la guerre, sans pour autant engager quelque bataille que ce soit : le « tous aux abris ! » a produit une stupeur dans le pays que le président Macron serait bien inspiré de mesurer les effets. La surprotection de la population par des mesures de police au nom d’un principe de précaution perçu comme un absolu a été une erreur, reconnue par l’exécutif lui-même : il n’y a eu d’équivalent en France que lors de l’Occupation du pays par les armées du régime nazi. Un « Ausweis » était nécessaire pour circuler; une attestation dérogatoire devait être présentée à la police dirigée par M. Castaner. Arrêt total de l’école et mise sous couvercle de la vie familiale, culturelle et religieuse du pays. L’interdiction de se rendre à des obsèques ou aux offices religieux, de se regrouper, même avec prudence, l’ensemble des mesures a contribué à laminer les expressions les plus diverses de l’esprit général de la nation et de la vie collective. On peut affirmer ainsi que le principe de précaution a produit un affaiblissement et une neutralisation de toutes les exigences de la vie collective au nom de l’incurie initiale. Avouer le manque de lits de réanimation ne pouvait pas servir de principe à la gestions de l’épidémie. Et pourtant, c’est ce principe qui a prévalu : l’État imprévoyant et impécunieux se montre impuissant et valétudinaire, mais exige qu’on lui reconnaisse le souci du bien commun en même temps qu’il présente toutes les pièces faisant la preuve de son incapacité à assumer ce souci. Il est aujourd’hui remarquable que tous ceux qui ont été conduits à prendre les décisions les plus malheureuses et qui occupent des fonctions politiques, se tournent aujourd’hui vers la chaîne administrative de commandement de l’État pour mettre en avant leurs bonnes intentions et faire porter sur cette même administration le bilan négatif de leur impéritie.

E. Macron : le renouveau du radical-socialisme

La France : état des lieux

Depuis la transition post-gaulliste et libérale incarnée par Valéry Giscard d’Estaing et sa « société avancée », la France a beaucoup perdu de sa vitalité nationale, alors qu’elle avait été tenue à bout de bras par le Général de Gaulle après la défaite de 1940. Il faut se souvenir que de Gaulle avait — après le retour de la paix —, non seulement nationalisé certains secteurs économiques stratégiques, comme l’énergie et les transports, mais il avait réconcilié les Français avec eux-mêmes. Non pas seulement au nom du mythe ou du « roman national » (expression que chérissent certains idéologues observateurs de la société), mais au nom de la nécessité pour une nation de peser sur son destin. Il ne s’agit pas de minimiser ici les « progrès » sociaux acquis ou accordés à partir de l’accès de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République  en 1974. Il s’agit de percevoir qu’à mesure que la politique française s’inquiétait des mœurs, des revendications « sociétales » et des modes du moment (dont les beaux jours, ou les jours les plus flamboyants, furent ceux de la présidence de François Mitterrand), les autres enjeux fondamentaux dont la politique de la France aurait du être le théâtre, ont été passés par pertes et profits, minorés lorsqu’ils n’ont pas été vilipendés. Les exemples les plus frappants de cet abandon sont le secteur de la Défense et de la politique étrangère de la Nation.

Très certainement, l’arrivée aux responsabilités d’un polytechnicien qui appréciait pouvoir administrer les choses en technocrate, a permis à l’ensemble de la classe politique de voir les fonctions attribuées habituellement à la représentation politique, et généralement à l’exécutif, se déporter vers la technocratie, c’est-à-dire l’administration de l’État, au premier plan de laquelle on va trouver, tout naturellement, Bercy, le grand arbitre de la politique nationale. Passons rapidement sur les effets de bord de la prise du pouvoir par ce que nous appelons aujourd’hui « l’État profond » (deep state), prise de pouvoir que nous jugeons à peu près comme une chose inévitable. À quoi il faudrait ajouter les querelles à l’intérieur de ce que Raymond Barre a pu appeler « le microcosme », qui n’était qu’un euphémisme pour désigner les activités politiciennes les plus inavouables. Pendant que les partis politiques, avides de « modernisation », faisaient assaut de postures « sociétales » les plus diverses (ce qui assurait par exemple au Parti Socialiste, un vivier de recrutement de ses apparatchiks, notamment via « SOS Racisme » ), la France se désindustrialisait, les territoires ruraux se vidaient inexorablement et, bon an mal an, le chômage enflait, les Trente Glorieuses s’achevaient, laissant place à l’ère du renoncement et à des rêvasseries européennes, au milieu desquelles le bien connu et fameux couple Franco-Allemand, lequel n’a jamais joui que d’une existence fantasmatique.

Bien entendu, nombreux sont ceux qui aujourd’hui fustigent « les oiseaux de malheur ». Ceux qui, année après année, ont pu  relever les nombreux signes qui montrent « qu’en France quelque chose ne va pas ». On a cru commode de les étiqueter comme réactionnaires, on les a vilipendés et couverts de sarcasmes à bon compte. C’est d’ailleurs ainsi que les admirateurs et les soutiens du Président Macron voient les choses . Il n’est plus temps de grommeler et de ronchonner, ou de ruminer son amertume : depuis que le « nouveau » président a été élu, « l’espoir renaît ». Hormis le fait que les élections présidentielles formulent à chaque fois un espoir, celui d’une réorientation quinquennale, d’une inflexion de la politique, et donc d’un changement pressenti et attendu, dont le désir est exacerbé par les promesses électorales, présenter l’élection du Président Macron comme le début d’une longue période de renouveau, apparaît sinon dangereux, du moins comme un wishful thinking, voire la marque d’une certaine naïveté du côté des fans. Tout simplement, pour l’observateur revenu de tout,  il peut s’agir d’un plan de communication efficace qui a porté le jeune candidat jusqu’au siège suprême. Pourquoi ? Parce que, ce que les journalistes toujours prompts à la métaphore appellent « les défis à relever », sont apparus sinon nombreux, du moins depuis longtemps perçus par des politiques velléitaires comme étant « très difficiles à résoudre ». Aussi, voir arriver au pouvoir des équipages hétéroclites issus du PS « rad-soc » (Le Drian, Collomb, R. Ferrand..), de la frange juppéiste-opportuniste de la Droite (Philippe, Riester) et de leurs arrières boutiques respectives (Griveaux, Séjourné, O. Ferrand, I. Émelien, S. Guérini et autres, blanchis sous l’hysope du président élu) a suscité un fort scepticisme quant aux capacités réelles dont disposait cette nouvelle équipe pour accompagner le pays dans les réformes nécessaires.

L’Europe aux anciens parapets

On a parlé récemment de « mondialisation heureuse ». À défaut de se moquer explicitement du monde, ceux qui utilisent cette formule ne savent pas de quoi ils parlent. Il faudrait d’abord comprendre ce qu’est la mondialisation. Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder : l’expansion d’un modèle économique forgé par ceux que l’on appelle les Européens et qui, plus précisément, a travaillé les U.S.A. dans le dernier siècle. Ce modèle économique se joue sur la concentration et la convergence des activités économiques, la transformation en échanges commerciaux à grande échelle des besoins les plus élémentaires et son expansion au niveau mondial. Si on jette un œil en arrière, en partant d’une petite localité du Middle-West des U.S.A. vers 1920, on voit que l’on passe en 50 ans d’un gros bourg disposant de plusieurs fabriques de chaussures, d’articles de quincaillerie, de scieries et de cimenteries, de vêtements, d’outils agricoles et d’abattoirs, environné d’exploitations agricoles familiales (toutes activités pourvoyeuses d’emplois), à une petite ville morte, disposant de deux ou trois supermarchés, où l’on trouve des services à la personnes, un concessionnaire d’automobiles, des coiffeurs, des agents immobiliers et quelques bureaux de services publics. Tout ce qui existait auparavant a subi les bienfaits de la vente par catalogue, le regroupement de la confection des chaussures dans une localité très éloignée et, parallèlement, une financiarisation des activités économiques. Standardisation, éloignement, finances, tel est le triptyque de la mondialisation qui ne s’est pas toujours appelée ainsi, mais qui se vit actuellement chaque jour en Europe, y compris en France : n’importe quelle petite ville de moins de 10 000 habitant y est devenue un quasi désert. Ce modèle économique, si l’on peut dire, provient en ligne droite des États-Unis, le centre de notre monde contemporain.

L’éloignement, la financiarisation et la globalisation supposent aussi un centre à ce monde globalisé. Ce centre est constitué par les États-Unis. Quelle preuve ? Il suffit de faire du commerce en dollars avec un pays placé sur la liste noire aux U.S.A. et l’État de New York vous rançonne : quelques grosses sociétés, comme la BNP Paribas, ont eu à verser des millions de dollars à l’État de New York. Nous ne donnons plus de travail à nos ouvriers et employés, pendant que nous en donnons aux étrangers vivants en Extrême-Orient, mais au surplus et volens nolens les banques françaises se font rançonner. Bien entendu, l’Europe qui est censée « mieux nous protéger » passe beaucoup de temps en effets d’annonce contre Google, Apple, Amazon, Facebook, etc. sans jamais mettre au pied du mur ceux qui, ayant bénéficié des largesses de la communauté européenne, se moquent rigoureusement du sens de leur adhésion à « la communauté de destin » à laquelle ils ont adhéré. C’est le cas de l’Irlande, dont on peut douter des convergences de vue avec les autres pays européens, avec d’autres pays bénéficiaires, qui jouant la carte du paradis fiscal, hurlent en chœur contre « ceux qui ne jouent pas le jeu communautaire ».

Mais qu’avons-nous fait de ce côté-ci de l’Atlantique ? Nous avons trouvé excellente l’idée de faire travailler les autres, Méditerranéens du Maghreb d’abord, Turcs ensuite, Chinois longtemps, Vietnamiens, Indonésiens et Philippins aujourd’hui, pendant que notre « modèle social » (dont nous ne sommes pas peu fiers) signifiait que les Français préféraient un consumérisme assumé, pourvu que les objets de consommation ne soient pas de bonne qualité, qu’ils restent peu chers et que la protection sociale soit distribuée au plus grand nombre, sans souci de contrôle, ni d’études fiables sur l’efficacité de cette politique.

Le Président Macron veut « remettre l’Europe sur les rails ». Soit ! Mais quelle Europe ? Une coopération économique des nations européennes, avec certaines convergences multilatérales aurait pu apporter satisfaction depuis longtemps. Mais en France, dès qu’un problème était soumis par les électeurs à leurs représentants, on leur entonnait toujours les mêmes antiennes : « Regardez Bruxelles ! C’est là que tout se décide ! ». Les malheureux députés, qui pouvaient faire preuve d’esprit d’indépendance, regardaient la mise en place des « nouvelles règles » venues de Bruxelles, comme s’il s’agissait d’une nécessité. Pendant ce temps, l’Allemagne au destin moins glorieux, faisait son marché vers l’Est. Solidement implantées en Tchéquie, en Slovaquie, en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie et en Roumanie, les entreprises germaniques jouissent des avantages d’une main d’œuvre à bas coût : les ouvriers du textile bulgare se contentent des 250 € de salaire mensuel net, c’est-à-dire autant que les ouvriers qualifiés œuvrant dans les conglomérats chinois. On ne voit pas la France, avec ses coûts salariaux, sa fiscalité délirante et son État impécunieux, pouvoir rivaliser avec son voisin d’outre-Rhin. Sortir de ce cercle exige des nerfs solides, mais surtout une vision politique affirmée et claire : si l’État-Providence en France croule sous la dette, il doit y avoir quelques raisons à vouloir y regarder de plus près. Quelles sont les dépenses de l’État ? Quel est le secteur qui en supporte le plus et de manière évidemment discutable ? Mais à périmètre de dépenses égal, n’y aurait-il pas intérêt à rendre de nouveau possible l’emploi industriel ? La Nation ne se trouverait pas mieux à former des ouvriers plutôt que des emplois de services dans le secteur para-médical ?

Non seulement l’Europe ne semble profiter qu’à quelques rares acteurs, mais la défense de son idée reste aussi peu claire que sont confus les buts poursuivis. De commémoration en commémoration, souvent à grand renfort d’accolade et de torrents de larmes, on sent que l’Europe est une chose du passé, une forme de système de sécurité à base de déclarations, d’objurgations et de postures. Aucun pays, ou alliance de pays pour assumer en toute clarté les opérations militaires éventuelles, aucune doctrine de puissance clairement définie et assumée. En revanche une sécurisation des frontières qui tient à la fois du ridicule et de la mauvaise foi. Pendant que les média s’acharnent sur la Hongrie (à qui les institutions européennes demandent de sécuriser ses frontières), ce sont les ONG qui facilitent le passage des migrants provenant de Libye et de Turquie. Ercep Erdogan, qui joue le matamore dans son pays et cogne du poing sur la table devant les caméras, a bien compris à qui il avait affaire, lorsqu’il s’agit de négocier avec les Européens : quelques technocrates cravatés, toujours prompts à signer des chèques ! Les Européens agissent, Angela Merkel en tête, comme un père de famille dépassé par les crises d’un adolescent qui, tour à tour, conjure, menace, fait du chantage et au final sort en soirée avec sa liasse d’euros en poche.

La France et le sud de la Méditerranée

Pendant ce temps, pendant que les Européens laissent Angela Merkel « négocier » avec Ercep Erdogan, personne ne se préoccupe du Maghreb. Laissons de côté pour l’instant l’aventure Libyenne et le peu de sérieux avec lequel les Européens et singulièrement les Français, qui sous bénéfice d’inventaire voudraient jouer un rôle en Europe, se sont préoccupés de l’affaire libyenne. Certes, le farouche et dangereux Khadafi a été éliminé. Certes, les Américains se sont montrés très intéressés, au motif de l’assassinat de leur ambassadeur. Mais quant à une réflexion sur le fond, quant à savoir ce que les Européens veulent voir au Maghreb, on reste ici face à une nuit sombre et sans repères. Le cas de l’Algérie regarde principalement la France. Non seulement parce que la France était présente en tant que puissance colonisatrice depuis 1831, c’est-à-dire avant qu’on puisse parler de l’Algérie comme d’un État-nation, et même comme d’un « pays » (l’Algérie, comme le reste de la région, était sous domination de l’empire ottoman), mais parce que les Français d’origine algérienne vivant en France, forment la population maghrébine la plus importante. Les Franco-algériens bi-nationaux forment une communauté importante en France. Or, quel est l’état actuel de l’Algérie ? Le président Macron, avec sa plaisante faconde coutumière, s’est contenté de distribuer quelques gouttes d’eau bénite à Alger, en appuyant sur la touche « génocide » de son système de communication, pour complaire à un « quarteron de généraux » vivants de la rente pétrolière. Pourtant, la situation de l’Algérie est difficile, pour ne pas dire préoccupante. L’Algérie a été conduite par un mourant, puis par les fils spirituels du FNL dont le goût pour la concussion, la prévarication et la corruption est légendaire. La situation économique du pays, soutenue par la rente pétrolière, est catastrophique : le chômage de masse y fait rage et les perspectives d’avenir pour la jeunesse algérienne apparaissent compromises. Au surplus, nos voisins algériens ont vécu une guerre civile particulièrement redoutable dans la dernière période, puisque les exactions des années noires entre 1990 et 1995 ont causé la mort de seulement quelques centaines de milliers d’Algériens. En France, ce massacre a ému un temps avec « l’affaire des moines de Tibérine« , mais tout se passe aujourd’hui comme si le compte des milliers de morts de la crise algérienne avait été soldé.  Si demain la situation en Algérie devenait critique (et elle le sera nécessairement, au vu des développements de ces dernières décennies), les Algériens ne fuiraient pas vers la Tunisie ou le Maroc, mais bien vers la France. De cela, il n’est nullement question, ni dans les discussions européennes, ni dans les discussions au Parlement, ni au sommet de l’État français et très peu dans la presse. Mais peut-être faudra-t-il suivre, le moment venu, les règles de l’ancien plan ORSEC-Rad (ou de l’actuel plan de confinement des Français) : 1° Ne pas regarder en direction de l’explosion; 2°) se savonner la tête; 3°) Rester chez soi; 4°) Ne pas répandre de fausses rumeurs…

Nous disons que cette situation est préoccupante pour la France, comme celle qui est visible dans le Sahel. Cette région d’Afrique sub-saharienne est maintenant connue de tous les Français, depuis le déclenchement de l’opération Serval, puis de l’opération Barkhane et des tués au combat parmi les troupes françaises. La problématique n’est pas simple, puisqu’elle allie une urgence (combattre des groupes djihadistes) et des préoccupations géo-politiques (stabiliser les gouvernements locaux par une coopération sérieuse qui engagerait les parties). Mais faire l’un sans l’autre est inutile. Faire l’un et l’autre est long, difficile et coûteux. Tout un chacun s’est félicité chaudement de voir disparaître l’ancien monde et la » Françafrique », mais personne n’a encore trouvé comment faire en sorte que la politique que conduit la France au Sahel, soit regardée comme une « politique européenne » et non pas une série de manœuvres pour réinstaurer une forme de néo-colonialisme dans cette région.

Bilan à mi-mandat : la soumission à l’événement

Si l’on fait le bilan politique à mi-mandat de l’équipe conduite par Emmanuel Macron — en laissant de côté l’impopularité dans les sondages —, le moins que l’on puisse dire est que l’arrivée au pouvoir d’une prétendue troisième force  (« ni de droite, ni de gauche ») s’est révélée être la continuation de la même politique que celle menée les décennies précédentes sous l’apparent vernis « moderniste » à la Giscard d’Estaing, mais avec les mêmes marottes sociétales que les écuries radicales-socialistes portées par le Parti Socialiste d’hier et la droite « façon Juppé » d’aujourd’hui. Le « Radical-Socialisme pas mort » ? Comment pourrait-il en être autrement lorsque les équipes politiques au pouvoir disposent d’un appareil d’État qui continue à gérer le pays, pourvu qu’on ne lui commande pas de revoir son périmètre d’action ? Bercy dirige, la Présidence et le Premier Ministre ajustent les budgets, baissent les impôts, augmentent les taxes, récompensent ici, réprimandent là et semblent ne rien comprendre ni aux signaux envoyés par la nation (à commencer par la grogne des « gilets jaunes »), ni à la crise du système hospitalier, ni à l’effondrement quasi-total de la politique de massification de l’école, où les diplômes n’ont aujourd’hui qu’une valeur purement symbolique, ni à l’échec global de l’État-providence, ni à la montée électorale du Rassemblement national. Jetons un voile pudique sur la prise en compte d’une autre guerre, celle contre le terrorisme.

Le Président Macron se montre bien imprudent lorsqu’il prend la parole au mépris du bon sens (« le projet d’une femme seule d’avoir un enfant est un projet familial » — Prise de parole devant les journalistes à Rome [ Conférence de Presse, mardi 26 juin 2018]) ou bien au mépris tout simplement de l’intelligence politique, lorsqu’il ne laisse aucune place au débat entre ceux qu’il appelle « les progressistes » (auxquels il dit se rattacher) et les partisans de la « montée des extrêmes » (entendons, ceux qui ne seraient pas progressistes, quel que soit le sens donné à ce mot ), ou au mépris encore de toute représentation de ce qu’est l’action en politique, qu’il s’agisse de bio-éthique ou qu’il s’agisse du pilotage des flux migratoires, dont il appréhende les enjeux en termes purement technocratiques — puisque, après tout, on l’a bien compris, « il s’agit de gérer des flux« . Il ne craint pas non-plus de faire procéder à une réforme des régimes de retraites dans l’impréparation et la confusion la plus totale, au point où, les semaines passant, cette réforme devient une vraie bouteille à l’encre. Si la politique consiste à conduire un peuple vers sa vérité effective, le moins que l’on puisse dire est que le Président Macron flanqué de sa cohorte de conseillers amateurs, nourris pour beaucoup dans les cantines de Dominique Strauss-Kahn —un coup d’œil rapide sur les affidés tel Benjamin Griveaux en donne une idée —, ne conduit aucune politique. L’actuelle passivité générale  comme mot d’ordre face à la pandémie du COVID-19 en est la preuve flagrante. En effet, penser qu’une nation de 66 millions d’habitants va se contenter durant des semaines d’un péremptoire « Restez chez vous ! », le petit doigt sur la couture du pantalon, sans rechigner, attendant sagement le signal de mener à nouveau une vie sociale comme avant, c’est là faire preuve d’une grande légèreté, ou d’une absence réelle de la compréhension de la situation, de ses enjeux et des objectifs à atteindre. Lorsque le Président Macron affirme que « c’est la guerre contre l’épidémie de COVID-19″, tout le monde comprend immédiatement que c’est pour ce jeune homme une manière de dire qu’il prend les choses au sérieux. Qu’il s’agisse surtout de « gérer des flux » (de l’accès aux services de réanimation), plutôt que d’engager une véritable guerre (ce qui suppose un ordre de bataille, un plan de bataille, une stratégie et des troupes motivées) la preuve en est apportée un peu plus chaque jour.

Emmanuel Macron ne voit pas, n’a pas vu ou n’a pas su voir, que la demande générale des Français n’est pas très difficile à conceptualiser : autorité, responsabilité, réactivité. Les Français veulent la réindustrialisation du pays, non pas donner du travail aux Chinois. Il veulent que l’État, qui en France joue un rôle majeur, soit innervé par une chaîne d’autorité et de responsabilité, qui ne soit pas le laxisme pour les uns et les contraventions pour les autres. Ce rôle dévolu à l’État doit faire l’objet d’une réflexion renouvelée sur ce qu’il est convenu de désigner (en langage technocratique) le périmètre de ses missions. Aujourd’hui, les grands services publics (comme le transport ferroviaire, la distribution du courrier, la santé …) sont menacés, diminués, affaiblis. Pourtant l’État lui-même n’a pas vu ses missions discutées, redéfinies et limitées. La crise de la réforme des retraites a mis en lumière les salaires ridicules des enseignants et les primes extraordinaires de certains cadres de la fonction publique dont les missions ne sont parfois que purement hiérarchiques. Les difficultés du monde des petites et moyennes entreprises découlent d’une administration tatillonne, qui est prompte à faire rentrer les taxes dans les caisses de l’État, plutôt qu’elle n’encourage, soutient et guide les efforts entrepreneuriaux. Les Français ont par le passé faits de grandes choses, si l’on se tourne vers les grandes figures des arts, de la science, de la médecine et de la technique. Mais la patrie des Pasteur, des Eiffel, des Niepce, des Delacroix et des Fauré, de Victor Hugo et de Péguy et de bien d’autres, se perd aujourd’hui dans les guerres picrocholines entre le ministère de l’intérieur et les conseils départementaux sur la question de savoir à quelle vitesse on doit rouler en campagne, voit ses entrées de ville enlaidies hideusement par les hangars de la grande distribution, cherche partout où faire fabriquer ce dont elle a besoin et qu’elle n’est plus capable de produire. Les écoliers perdent tout sens de l’effort intellectuel, les armées sont démunies, le système hospitalier à bout de souffle. Et aujourd’hui, il faut se tourner vers l’étranger pour trouver les ressources en produits pharmaceutiques.

On aurait pu penser que le courage en politique allait de paire avec une vision claire des objectifs de l’action. Que l’action devait reposer sur une délibération approfondie. Que la responsabilité consistait à nommer aux postes importants des personnes irréprochables à l’envergure incontestée. Mais force est de constater que l’improvisation, la faiblesse de caractère et l’absence de ce type d’autorité que confèrent lucidité et pragmatisme, rappellent très étrangement les beaux jours du ministre Henri Queuille, connu pour sa longévité politique et pour cette formule au final très à propos dans les circonstances actuelles : « Il n’est pas de problème dont l’absence de solution ne puisse venir à bout ».

Jean-Pierre Delange