La France : état des lieux
Depuis la transition post-gaulliste et libérale incarnée par Valéry Giscard d’Estaing et sa « société avancée », la France a beaucoup perdu de sa vitalité nationale, alors qu’elle avait été tenue à bout de bras par le Général de Gaulle après la défaite de 1940. Il faut se souvenir que de Gaulle avait — après le retour de la paix —, non seulement nationalisé certains secteurs économiques stratégiques, comme l’énergie et les transports, mais il avait réconcilié les Français avec eux-mêmes. Non pas seulement au nom du mythe ou du « roman national » (expression que chérissent certains idéologues observateurs de la société), mais au nom de la nécessité pour une nation de peser sur son destin. Il ne s’agit pas de minimiser ici les « progrès » sociaux acquis ou accordés à partir de l’accès de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République en 1974. Il s’agit de percevoir qu’à mesure que la politique française s’inquiétait des mœurs, des revendications « sociétales » et des modes du moment (dont les beaux jours, ou les jours les plus flamboyants, furent ceux de la présidence de François Mitterrand), les autres enjeux fondamentaux dont la politique de la France aurait du être le théâtre, ont été passés par pertes et profits, minorés lorsqu’ils n’ont pas été vilipendés. Les exemples les plus frappants de cet abandon sont le secteur de la Défense et de la politique étrangère de la Nation.
Très certainement, l’arrivée aux responsabilités d’un polytechnicien qui appréciait pouvoir administrer les choses en technocrate, a permis à l’ensemble de la classe politique de voir les fonctions attribuées habituellement à la représentation politique, et généralement à l’exécutif, se déporter vers la technocratie, c’est-à-dire l’administration de l’État, au premier plan de laquelle on va trouver, tout naturellement, Bercy, le grand arbitre de la politique nationale. Passons rapidement sur les effets de bord de la prise du pouvoir par ce que nous appelons aujourd’hui « l’État profond » (deep state), prise de pouvoir que nous jugeons à peu près comme une chose inévitable. À quoi il faudrait ajouter les querelles à l’intérieur de ce que Raymond Barre a pu appeler « le microcosme », qui n’était qu’un euphémisme pour désigner les activités politiciennes les plus inavouables. Pendant que les partis politiques, avides de « modernisation », faisaient assaut de postures « sociétales » les plus diverses (ce qui assurait par exemple au Parti Socialiste, un vivier de recrutement de ses apparatchiks, notamment via « SOS Racisme » ), la France se désindustrialisait, les territoires ruraux se vidaient inexorablement et, bon an mal an, le chômage enflait, les Trente Glorieuses s’achevaient, laissant place à l’ère du renoncement et à des rêvasseries européennes, au milieu desquelles le bien connu et fameux couple Franco-Allemand, lequel n’a jamais joui que d’une existence fantasmatique.
Bien entendu, nombreux sont ceux qui aujourd’hui fustigent « les oiseaux de malheur ». Ceux qui, année après année, ont pu relever les nombreux signes qui montrent « qu’en France quelque chose ne va pas ». On a cru commode de les étiqueter comme réactionnaires, on les a vilipendés et couverts de sarcasmes à bon compte. C’est d’ailleurs ainsi que les admirateurs et les soutiens du Président Macron voient les choses . Il n’est plus temps de grommeler et de ronchonner, ou de ruminer son amertume : depuis que le « nouveau » président a été élu, « l’espoir renaît ». Hormis le fait que les élections présidentielles formulent à chaque fois un espoir, celui d’une réorientation quinquennale, d’une inflexion de la politique, et donc d’un changement pressenti et attendu, dont le désir est exacerbé par les promesses électorales, présenter l’élection du Président Macron comme le début d’une longue période de renouveau, apparaît sinon dangereux, du moins comme un wishful thinking, voire la marque d’une certaine naïveté du côté des fans. Tout simplement, pour l’observateur revenu de tout, il peut s’agir d’un plan de communication efficace qui a porté le jeune candidat jusqu’au siège suprême. Pourquoi ? Parce que, ce que les journalistes toujours prompts à la métaphore appellent « les défis à relever », sont apparus sinon nombreux, du moins depuis longtemps perçus par des politiques velléitaires comme étant « très difficiles à résoudre ». Aussi, voir arriver au pouvoir des équipages hétéroclites issus du PS « rad-soc » (Le Drian, Collomb, R. Ferrand..), de la frange juppéiste-opportuniste de la Droite (Philippe, Riester) et de leurs arrières boutiques respectives (Griveaux, Séjourné, O. Ferrand, I. Émelien, S. Guérini et autres, blanchis sous l’hysope du président élu) a suscité un fort scepticisme quant aux capacités réelles dont disposait cette nouvelle équipe pour accompagner le pays dans les réformes nécessaires.
L’Europe aux anciens parapets
On a parlé récemment de « mondialisation heureuse ». À défaut de se moquer explicitement du monde, ceux qui utilisent cette formule ne savent pas de quoi ils parlent. Il faudrait d’abord comprendre ce qu’est la mondialisation. Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder : l’expansion d’un modèle économique forgé par ceux que l’on appelle les Européens et qui, plus précisément, a travaillé les U.S.A. dans le dernier siècle. Ce modèle économique se joue sur la concentration et la convergence des activités économiques, la transformation en échanges commerciaux à grande échelle des besoins les plus élémentaires et son expansion au niveau mondial. Si on jette un œil en arrière, en partant d’une petite localité du Middle-West des U.S.A. vers 1920, on voit que l’on passe en 50 ans d’un gros bourg disposant de plusieurs fabriques de chaussures, d’articles de quincaillerie, de scieries et de cimenteries, de vêtements, d’outils agricoles et d’abattoirs, environné d’exploitations agricoles familiales (toutes activités pourvoyeuses d’emplois), à une petite ville morte, disposant de deux ou trois supermarchés, où l’on trouve des services à la personnes, un concessionnaire d’automobiles, des coiffeurs, des agents immobiliers et quelques bureaux de services publics. Tout ce qui existait auparavant a subi les bienfaits de la vente par catalogue, le regroupement de la confection des chaussures dans une localité très éloignée et, parallèlement, une financiarisation des activités économiques. Standardisation, éloignement, finances, tel est le triptyque de la mondialisation qui ne s’est pas toujours appelée ainsi, mais qui se vit actuellement chaque jour en Europe, y compris en France : n’importe quelle petite ville de moins de 10 000 habitant y est devenue un quasi désert. Ce modèle économique, si l’on peut dire, provient en ligne droite des États-Unis, le centre de notre monde contemporain.
L’éloignement, la financiarisation et la globalisation supposent aussi un centre à ce monde globalisé. Ce centre est constitué par les États-Unis. Quelle preuve ? Il suffit de faire du commerce en dollars avec un pays placé sur la liste noire aux U.S.A. et l’État de New York vous rançonne : quelques grosses sociétés, comme la BNP Paribas, ont eu à verser des millions de dollars à l’État de New York. Nous ne donnons plus de travail à nos ouvriers et employés, pendant que nous en donnons aux étrangers vivants en Extrême-Orient, mais au surplus et volens nolens les banques françaises se font rançonner. Bien entendu, l’Europe qui est censée « mieux nous protéger » passe beaucoup de temps en effets d’annonce contre Google, Apple, Amazon, Facebook, etc. sans jamais mettre au pied du mur ceux qui, ayant bénéficié des largesses de la communauté européenne, se moquent rigoureusement du sens de leur adhésion à « la communauté de destin » à laquelle ils ont adhéré. C’est le cas de l’Irlande, dont on peut douter des convergences de vue avec les autres pays européens, avec d’autres pays bénéficiaires, qui jouant la carte du paradis fiscal, hurlent en chœur contre « ceux qui ne jouent pas le jeu communautaire ».
Mais qu’avons-nous fait de ce côté-ci de l’Atlantique ? Nous avons trouvé excellente l’idée de faire travailler les autres, Méditerranéens du Maghreb d’abord, Turcs ensuite, Chinois longtemps, Vietnamiens, Indonésiens et Philippins aujourd’hui, pendant que notre « modèle social » (dont nous ne sommes pas peu fiers) signifiait que les Français préféraient un consumérisme assumé, pourvu que les objets de consommation ne soient pas de bonne qualité, qu’ils restent peu chers et que la protection sociale soit distribuée au plus grand nombre, sans souci de contrôle, ni d’études fiables sur l’efficacité de cette politique.
Le Président Macron veut « remettre l’Europe sur les rails ». Soit ! Mais quelle Europe ? Une coopération économique des nations européennes, avec certaines convergences multilatérales aurait pu apporter satisfaction depuis longtemps. Mais en France, dès qu’un problème était soumis par les électeurs à leurs représentants, on leur entonnait toujours les mêmes antiennes : « Regardez Bruxelles ! C’est là que tout se décide ! ». Les malheureux députés, qui pouvaient faire preuve d’esprit d’indépendance, regardaient la mise en place des « nouvelles règles » venues de Bruxelles, comme s’il s’agissait d’une nécessité. Pendant ce temps, l’Allemagne au destin moins glorieux, faisait son marché vers l’Est. Solidement implantées en Tchéquie, en Slovaquie, en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie et en Roumanie, les entreprises germaniques jouissent des avantages d’une main d’œuvre à bas coût : les ouvriers du textile bulgare se contentent des 250 € de salaire mensuel net, c’est-à-dire autant que les ouvriers qualifiés œuvrant dans les conglomérats chinois. On ne voit pas la France, avec ses coûts salariaux, sa fiscalité délirante et son État impécunieux, pouvoir rivaliser avec son voisin d’outre-Rhin. Sortir de ce cercle exige des nerfs solides, mais surtout une vision politique affirmée et claire : si l’État-Providence en France croule sous la dette, il doit y avoir quelques raisons à vouloir y regarder de plus près. Quelles sont les dépenses de l’État ? Quel est le secteur qui en supporte le plus et de manière évidemment discutable ? Mais à périmètre de dépenses égal, n’y aurait-il pas intérêt à rendre de nouveau possible l’emploi industriel ? La Nation ne se trouverait pas mieux à former des ouvriers plutôt que des emplois de services dans le secteur para-médical ?
Non seulement l’Europe ne semble profiter qu’à quelques rares acteurs, mais la défense de son idée reste aussi peu claire que sont confus les buts poursuivis. De commémoration en commémoration, souvent à grand renfort d’accolade et de torrents de larmes, on sent que l’Europe est une chose du passé, une forme de système de sécurité à base de déclarations, d’objurgations et de postures. Aucun pays, ou alliance de pays pour assumer en toute clarté les opérations militaires éventuelles, aucune doctrine de puissance clairement définie et assumée. En revanche une sécurisation des frontières qui tient à la fois du ridicule et de la mauvaise foi. Pendant que les média s’acharnent sur la Hongrie (à qui les institutions européennes demandent de sécuriser ses frontières), ce sont les ONG qui facilitent le passage des migrants provenant de Libye et de Turquie. Ercep Erdogan, qui joue le matamore dans son pays et cogne du poing sur la table devant les caméras, a bien compris à qui il avait affaire, lorsqu’il s’agit de négocier avec les Européens : quelques technocrates cravatés, toujours prompts à signer des chèques ! Les Européens agissent, Angela Merkel en tête, comme un père de famille dépassé par les crises d’un adolescent qui, tour à tour, conjure, menace, fait du chantage et au final sort en soirée avec sa liasse d’euros en poche.
La France et le sud de la Méditerranée
Pendant ce temps, pendant que les Européens laissent Angela Merkel « négocier » avec Ercep Erdogan, personne ne se préoccupe du Maghreb. Laissons de côté pour l’instant l’aventure Libyenne et le peu de sérieux avec lequel les Européens et singulièrement les Français, qui sous bénéfice d’inventaire voudraient jouer un rôle en Europe, se sont préoccupés de l’affaire libyenne. Certes, le farouche et dangereux Khadafi a été éliminé. Certes, les Américains se sont montrés très intéressés, au motif de l’assassinat de leur ambassadeur. Mais quant à une réflexion sur le fond, quant à savoir ce que les Européens veulent voir au Maghreb, on reste ici face à une nuit sombre et sans repères. Le cas de l’Algérie regarde principalement la France. Non seulement parce que la France était présente en tant que puissance colonisatrice depuis 1831, c’est-à-dire avant qu’on puisse parler de l’Algérie comme d’un État-nation, et même comme d’un « pays » (l’Algérie, comme le reste de la région, était sous domination de l’empire ottoman), mais parce que les Français d’origine algérienne vivant en France, forment la population maghrébine la plus importante. Les Franco-algériens bi-nationaux forment une communauté importante en France. Or, quel est l’état actuel de l’Algérie ? Le président Macron, avec sa plaisante faconde coutumière, s’est contenté de distribuer quelques gouttes d’eau bénite à Alger, en appuyant sur la touche « génocide » de son système de communication, pour complaire à un « quarteron de généraux » vivants de la rente pétrolière. Pourtant, la situation de l’Algérie est difficile, pour ne pas dire préoccupante. L’Algérie a été conduite par un mourant, puis par les fils spirituels du FNL dont le goût pour la concussion, la prévarication et la corruption est légendaire. La situation économique du pays, soutenue par la rente pétrolière, est catastrophique : le chômage de masse y fait rage et les perspectives d’avenir pour la jeunesse algérienne apparaissent compromises. Au surplus, nos voisins algériens ont vécu une guerre civile particulièrement redoutable dans la dernière période, puisque les exactions des années noires entre 1990 et 1995 ont causé la mort de seulement quelques centaines de milliers d’Algériens. En France, ce massacre a ému un temps avec « l’affaire des moines de Tibérine« , mais tout se passe aujourd’hui comme si le compte des milliers de morts de la crise algérienne avait été soldé. Si demain la situation en Algérie devenait critique (et elle le sera nécessairement, au vu des développements de ces dernières décennies), les Algériens ne fuiraient pas vers la Tunisie ou le Maroc, mais bien vers la France. De cela, il n’est nullement question, ni dans les discussions européennes, ni dans les discussions au Parlement, ni au sommet de l’État français et très peu dans la presse. Mais peut-être faudra-t-il suivre, le moment venu, les règles de l’ancien plan ORSEC-Rad (ou de l’actuel plan de confinement des Français) : 1° Ne pas regarder en direction de l’explosion; 2°) se savonner la tête; 3°) Rester chez soi; 4°) Ne pas répandre de fausses rumeurs…
Nous disons que cette situation est préoccupante pour la France, comme celle qui est visible dans le Sahel. Cette région d’Afrique sub-saharienne est maintenant connue de tous les Français, depuis le déclenchement de l’opération Serval, puis de l’opération Barkhane et des tués au combat parmi les troupes françaises. La problématique n’est pas simple, puisqu’elle allie une urgence (combattre des groupes djihadistes) et des préoccupations géo-politiques (stabiliser les gouvernements locaux par une coopération sérieuse qui engagerait les parties). Mais faire l’un sans l’autre est inutile. Faire l’un et l’autre est long, difficile et coûteux. Tout un chacun s’est félicité chaudement de voir disparaître l’ancien monde et la » Françafrique », mais personne n’a encore trouvé comment faire en sorte que la politique que conduit la France au Sahel, soit regardée comme une « politique européenne » et non pas une série de manœuvres pour réinstaurer une forme de néo-colonialisme dans cette région.
Bilan à mi-mandat : la soumission à l’événement
Si l’on fait le bilan politique à mi-mandat de l’équipe conduite par Emmanuel Macron — en laissant de côté l’impopularité dans les sondages —, le moins que l’on puisse dire est que l’arrivée au pouvoir d’une prétendue troisième force (« ni de droite, ni de gauche ») s’est révélée être la continuation de la même politique que celle menée les décennies précédentes sous l’apparent vernis « moderniste » à la Giscard d’Estaing, mais avec les mêmes marottes sociétales que les écuries radicales-socialistes portées par le Parti Socialiste d’hier et la droite « façon Juppé » d’aujourd’hui. Le « Radical-Socialisme pas mort » ? Comment pourrait-il en être autrement lorsque les équipes politiques au pouvoir disposent d’un appareil d’État qui continue à gérer le pays, pourvu qu’on ne lui commande pas de revoir son périmètre d’action ? Bercy dirige, la Présidence et le Premier Ministre ajustent les budgets, baissent les impôts, augmentent les taxes, récompensent ici, réprimandent là et semblent ne rien comprendre ni aux signaux envoyés par la nation (à commencer par la grogne des « gilets jaunes »), ni à la crise du système hospitalier, ni à l’effondrement quasi-total de la politique de massification de l’école, où les diplômes n’ont aujourd’hui qu’une valeur purement symbolique, ni à l’échec global de l’État-providence, ni à la montée électorale du Rassemblement national. Jetons un voile pudique sur la prise en compte d’une autre guerre, celle contre le terrorisme.
Le Président Macron se montre bien imprudent lorsqu’il prend la parole au mépris du bon sens (« le projet d’une femme seule d’avoir un enfant est un projet familial » — Prise de parole devant les journalistes à Rome [ Conférence de Presse, mardi 26 juin 2018]) ou bien au mépris tout simplement de l’intelligence politique, lorsqu’il ne laisse aucune place au débat entre ceux qu’il appelle « les progressistes » (auxquels il dit se rattacher) et les partisans de la « montée des extrêmes » (entendons, ceux qui ne seraient pas progressistes, quel que soit le sens donné à ce mot ), ou au mépris encore de toute représentation de ce qu’est l’action en politique, qu’il s’agisse de bio-éthique ou qu’il s’agisse du pilotage des flux migratoires, dont il appréhende les enjeux en termes purement technocratiques — puisque, après tout, on l’a bien compris, « il s’agit de gérer des flux« . Il ne craint pas non-plus de faire procéder à une réforme des régimes de retraites dans l’impréparation et la confusion la plus totale, au point où, les semaines passant, cette réforme devient une vraie bouteille à l’encre. Si la politique consiste à conduire un peuple vers sa vérité effective, le moins que l’on puisse dire est que le Président Macron flanqué de sa cohorte de conseillers amateurs, nourris pour beaucoup dans les cantines de Dominique Strauss-Kahn —un coup d’œil rapide sur les affidés tel Benjamin Griveaux en donne une idée —, ne conduit aucune politique. L’actuelle passivité générale comme mot d’ordre face à la pandémie du COVID-19 en est la preuve flagrante. En effet, penser qu’une nation de 66 millions d’habitants va se contenter durant des semaines d’un péremptoire « Restez chez vous ! », le petit doigt sur la couture du pantalon, sans rechigner, attendant sagement le signal de mener à nouveau une vie sociale comme avant, c’est là faire preuve d’une grande légèreté, ou d’une absence réelle de la compréhension de la situation, de ses enjeux et des objectifs à atteindre. Lorsque le Président Macron affirme que « c’est la guerre contre l’épidémie de COVID-19″, tout le monde comprend immédiatement que c’est pour ce jeune homme une manière de dire qu’il prend les choses au sérieux. Qu’il s’agisse surtout de « gérer des flux » (de l’accès aux services de réanimation), plutôt que d’engager une véritable guerre (ce qui suppose un ordre de bataille, un plan de bataille, une stratégie et des troupes motivées) la preuve en est apportée un peu plus chaque jour.
Emmanuel Macron ne voit pas, n’a pas vu ou n’a pas su voir, que la demande générale des Français n’est pas très difficile à conceptualiser : autorité, responsabilité, réactivité. Les Français veulent la réindustrialisation du pays, non pas donner du travail aux Chinois. Il veulent que l’État, qui en France joue un rôle majeur, soit innervé par une chaîne d’autorité et de responsabilité, qui ne soit pas le laxisme pour les uns et les contraventions pour les autres. Ce rôle dévolu à l’État doit faire l’objet d’une réflexion renouvelée sur ce qu’il est convenu de désigner (en langage technocratique) le périmètre de ses missions. Aujourd’hui, les grands services publics (comme le transport ferroviaire, la distribution du courrier, la santé …) sont menacés, diminués, affaiblis. Pourtant l’État lui-même n’a pas vu ses missions discutées, redéfinies et limitées. La crise de la réforme des retraites a mis en lumière les salaires ridicules des enseignants et les primes extraordinaires de certains cadres de la fonction publique dont les missions ne sont parfois que purement hiérarchiques. Les difficultés du monde des petites et moyennes entreprises découlent d’une administration tatillonne, qui est prompte à faire rentrer les taxes dans les caisses de l’État, plutôt qu’elle n’encourage, soutient et guide les efforts entrepreneuriaux. Les Français ont par le passé faits de grandes choses, si l’on se tourne vers les grandes figures des arts, de la science, de la médecine et de la technique. Mais la patrie des Pasteur, des Eiffel, des Niepce, des Delacroix et des Fauré, de Victor Hugo et de Péguy et de bien d’autres, se perd aujourd’hui dans les guerres picrocholines entre le ministère de l’intérieur et les conseils départementaux sur la question de savoir à quelle vitesse on doit rouler en campagne, voit ses entrées de ville enlaidies hideusement par les hangars de la grande distribution, cherche partout où faire fabriquer ce dont elle a besoin et qu’elle n’est plus capable de produire. Les écoliers perdent tout sens de l’effort intellectuel, les armées sont démunies, le système hospitalier à bout de souffle. Et aujourd’hui, il faut se tourner vers l’étranger pour trouver les ressources en produits pharmaceutiques.
On aurait pu penser que le courage en politique allait de paire avec une vision claire des objectifs de l’action. Que l’action devait reposer sur une délibération approfondie. Que la responsabilité consistait à nommer aux postes importants des personnes irréprochables à l’envergure incontestée. Mais force est de constater que l’improvisation, la faiblesse de caractère et l’absence de ce type d’autorité que confèrent lucidité et pragmatisme, rappellent très étrangement les beaux jours du ministre Henri Queuille, connu pour sa longévité politique et pour cette formule au final très à propos dans les circonstances actuelles : « Il n’est pas de problème dont l’absence de solution ne puisse venir à bout ».
Jean-Pierre Delange